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Cette histoire erotique a une note de : 10/20
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INES , A FLEUR DE FEMMES :
Synopsis :
Auteur de roman à l'eau de rose, Inès est en panne d'inspiration, suite à un traumatisme provoqué par une tentative de viol. Depuis, elle s'est isolée dans un chalet de montagne, coupée du monde, indifférente aux injonctions de son banquier et de son éditrice qui s'impatientent. Rêveuse, effacée, elle prend rarement part à l'effervescence de son milieu, se contentant de sa solitude, se déconnectant de la réalité en voulant toujours croire au grand amour et au prince charmant, avec ce même romantisme que les héroïnes de ses romans.
Au cours d'un cocktail littéraire, l'occasion s'offre à Inès de pouvoir renouer avec le succès. On lui propose en effet de rédiger la biographie du richissime et mystérieux producteur Jean Vernier. Pour Inès, c'est une opportunité sans précédent. Elle accepte l'invitation de Jean Vernier, séducteur cynique et égocentrique qui, pour l'occasion, lui ouvre les portes de son château cathare, dans les Pyrénées Orientales. A la grande surprise d'Inès, d'autres invitées s'y trouvent déjà. Elle est la sixième personne d'un groupe pittoresque et inquiétant, exclusivement féminin, toutes de milieux différents, qui ne se connaissent pas mais qui ont un même et seul objectif : obtenir gloire et fortune grâce à l'influence de leur hôte, et prêtes à tout pour y parvenir. Elle devra côtoyer des personnages aussi torturés que pervers, aux sombres desseins, et sa troublante beauté fera des ravages, déchaînant les pulsions les plus primitives. Huit clos sensuel et oppressant qui durera une longue semaine, loin de toute civilisation, dans un château perdu au milieu des vignes. Inès devra partager leurs rancœurs et leurs intrigues, leurs vices et leurs turpitudes, lancée malgré elle dans un tourbillon de passions inavouables et exacerbées, et sans possibilité d'y échapper. Elle sympathisera avec Claire, hétéro comme elle, jeune actrice trop vite en haut de l'affiche et aussi vite en perte de vitesse, qui a répondu à l'invitation un peu contrainte et forcée, abandonnant temporairement mari et enfants. Inès trouvera également en Maria une alliée précieuse. Chanteuse espagnole à la réputation sulfureuse, c'est une séductrice redoutable qui prend tout aux femmes sans jamais rien leur donner, à partir de l'instant où elles peuvent lui permettre d'atteindre ses objectifs. Son attirance sincère pour Inès l’obligera à réviser ses principes, et pour la première fois de sa vie elle connaîtra les affres de la jalousie puisque la concurrence se montrera rude. En effet, sur la liste d’attente se positionnera la célèbre journaliste Gabrielle, figure emblématique et médiatique de la Jet Set, femme aigrie et calculatrice, aux ambitions aussi démesurées que ses appétits sexuels. D’autres femmes se révéleront tout aussi dangereuses : Corinne, lolita impulsive et star déjantée qui joue de son image rebelle jusqu'à outrance; Et enfin Patricia, sa petite amie dévouée et soumise, dont la timidité maladive dissimule un esprit sournois et tourmenté .
Très vite, Inès sera au centre des manigances et des rivalités amoureuses. Mais ce qu'elle ignore, et les autres aussi, est qu'elles sont toutes les jouets innocents d'un jeu pervers orchestré par Jean Vernier et une milliardaire décadente. Joueurs et parieurs invétérés, ces derniers ourdissent des complots, misant gros sur l'attirance et la création des couples lesbiens. Grâce à un système complexe et sophistiqué de caméras vidéos dissimulés dans toutes les pièces, ils peuvent observer à loisirs l'évolution de leurs pièges, l'aboutissement de leurs paris. Ils ne reculeront devant aucun moyen pour assouvir leurs désirs, provoquant toutes les tentations, attisant les démons et péchés mignons des unes et des autres, enflammant les corps et les esprits, et beaucoup ne résisteront pas à cette atmosphère trouble et érotique. Seules deux femmes, au début, ne céderont pas à cette volupté étouffante : Claire et Inès. Cette dernière, émouvante en femme pure et fragile, sera le pion favori de son hôte. Il rivalisera d'ingéniosité pour la déstabiliser, cherchant surtout à la jeter dans les bras de la volcanique Gabrielle. Claire, quant à elle, sera sacrifiée aux tentatives perverses auxquelles se livrent les joueurs amoraux, jetée en pâture pour assouvir les fantasmes de Corinne et Patricia qui, pour pimenter leurs relations, rêvent d’une partie à trois. Elles finiront par offrir à Claire sa nuit la plus longue et la plus agitée de toute son existence… De façon tout aussi inattendue, Inès succombera aussi à la tentation et rencontrera l’amour, loin des clichés hétérosexuels auxquels elle croyait tant…
PROLOGUE :
Debout prés de la fenêtre de sa chambre située dans l’aile nord du château, Gabrielle brosse ses longs cheveux blonds avec lenteur, d’un air pensif. Elle contemple en même temps le paysage sec et aride, sans relief, avec des vignes qui s’étendent à perte de vue, bordées ici et là par de petits murets de pierre délimitant les plantations. Soudain, son regard se fige lorsque la sensation revient. Cela recommence… L’impression d’une autre présence, d’être épiée, surveillée… Comme si des yeux intenses traversaient les murs et se fixaient sur elle. Elle frissonne, serre instinctivement les pans de son peignoir sous lequel elle est entièrement nue. Tout à l’heure, sous la douche, elle a ressenti cette même sensation étrange, et une douce chaleur lui a noué le ventre, un frisson voluptueux qui lui a donné la chair de poule. Ce qu’il y’ a de plus incroyable dans cette impression de ne pas être seule, c’est qu’elle ne ressent aucune peur, aucune crainte, mais un trouble indéfinissable. Comme si l’air était chargé d’électricité, une atmosphère sensuelle qui vous prend et vous enveloppe dans un voile de mystère et d’érotisme latent. Evidemment, elle ne croit pas aux fantômes ou autres événements surnaturels, mais il faut dire que le décor s’y prête : un domaine viticole immense et isolé, un château cathare perdu au milieu des vignes, une impression de luxe et d’opulence qui transpire dans la décoration intérieure, à la fois gothique, feutrée et intime. Et il n’y a pas que cela. Ici, le personnel est exclusivement féminin, et comme trié sur le volet : toutes sont jeunes, jolies, et terriblement sexy. Ce qui n’est pas pour lui déplaire… Tout cela complète une atmosphère de sensualité, de liberté et d’audace. Elle en est là de ces pensées étrangement agréables lorsque quelqu’un frappe à la porte.
- Entrez.
Elle se retourne en même temps, suivant des yeux la servante qui entre avec un plateau qu’elle dépose aussitôt sur une table basse en chêne massif, prés du lit. La servante se redresse et l’observe à son tour.
- C’est bien ce que vous aviez demandé, Madame. Un verre de jus d’orange, café, croissant sans beurre et fruits secs…
A vrai dire, Gabrielle n’a pas jeté un regard sur le plateau, bien trop occupée à déshabiller la jolie domestique du regard. Elle s’appelle Florence, une adorable brune aux yeux noisette qui arbore toujours un sourire chaleureux et coquin, presque ironique, comme si la vie lui réservait toujours des surprises. Elle est belle, une beauté fraîche et piquante, avec un doux visage ovale qui rayonne de gaieté, et un corps splendide, tout en courbes harmonieuses, fines et graciles, des formes d’adolescente presque… Gabrielle sent ses seins se durcir et tendre le tissu du peignoir. C’est d’une voix rauque qu’elle répond :
- Très bien, c’est parfait.
Elle s’approche d’elle, en prenant l’air le plus naturel du monde. Florence la laisse venir à elle sans réagir, un petit sourire amusé sur les lèvres. Tout de fois, lorsque la femme tend le bras pour lui toucher la joue, elle a un petit mouvement de recul.
- N’aie pas peur, je veux juste t’arranger les cheveux.
En effet, Gabrielle lui remet en arrière des mèches rebelles qui ne cessent de retomber sur son joli front. Florence continue de se laisser faire lorsque, maintenant, la femme continue de passer les mains dans ses cheveux, comme cherchant à la recoiffer, ce genre de petit geste innocent et affectueux qu’une femme peut avoir pour une autre femme. Mais, ensuite, la caresse à fleur de peau sur sa nuque semble bien moins innocente. Du bout des doigts, elle contourne son cou et effleure sa gorge, son menton, puis le visage, et enfin sa bouche où la caresse se fait plus précise.
- Comme tu es belle… s’extasie Gabrielle.
Le genre de phrase qu’une femme adore entendre. Et cette douceur, cette sensualité… Tout cela l’envoûte, l’électrise. Elle entrouvre ses lèvres lorsque Gabrielle y introduit un doigt, allant et venant dans sa bouche avec une obscénité mêlée de volupté. D’instinct, elle bouge la langue et suce le doigt avec une gourmandise qu’elle ne s’était jamais connue. Gabrielle gémit, tremble lorsque Florence sursaute à son tour. Le désir qu’elle perçoit dans les fascinants yeux gris lui donne le vertige. Florence voit s’entrouvrir ses belles lèvres pulpeuses et respire ce mélange d’odeurs qui monte de cette splendide femme , gel douche, shampooing et parfum épicé qui la grisent davantage. Elle ferme les yeux lorsque la bouche humide se presse contre la sienne, et se sent mollir lorsque la langue se joint au doigt pour parcourir l’intérieur de sa bouche avec une agilité déconcertante. Jamais aucune femme ne lui avait produit un tel effet si vite… Florence se demande avec extase si la suite va se révéler aussi éblouissante, mais ce qui se passe ensuite ne lui donne aucune envie de réfléchir. Gabrielle vient de la jeter sur le lit, se collant aussitôt à elle. Elle reprend possession de sa bouche, ne lui laissant aucun répit, comme par peur qu’elle retrouve ses esprits. Justement, Florence retrouve un instant sa lucidité. Elle vient de se rappeler les ordres. Aucun contact physique, aucun attouchement. Rien. Là, c’est mal parti… Elle risque sa place pour ne pas avoir respecté les directives du patron. Elle doit provoquer, allumer, mais c’est tout. Merde, elle n’est pas un robot tout de même ! Elle a aussi des pulsions, des envies, comme tout le monde. A force de jouer avec le feu, on s’y brûle… Et puis, avec une autre, elle aurait pu résister, mais pas avec cette femme qui est le diable incarné, la tentation dans toute sa splendeur. De toute façon, c’est trop tard. Avec une surprenante dextérité, Gabrielle l’a déshabillée en un tour de main, et c’est nue elle aussi qu’elle se frotte maintenant contre elle en ahanant. Florence lui renvoie ses bonds, noue ses jambes autour des fesses féminines, la pressant davantage contre elle pour que leur sexe soit en contact étroit. Déjà, son vagin est trempé, lubrifié comme jamais il ne l’a été, alors que Gabrielle ne l’a pas encore caressé. C’est fou, elle n’en peut plus, cette femme a le don d’enflammer ses sens et d’éveiller des pulsions sauvages avec un art inné qu’elle n’a jamais rencontré chez aucune autre personne. Pourtant, elle en a eu des aventures, avec des hommes et des femmes, des expériences souvent heureuses et plaisantes qu’elle n’a de cesse de vouloir renouveler. Evidemment, les plus enrichissantes sont celles qu’elle a eu avec des femmes, c’est incomparable, et justement elle pensait ne plus pouvoir être surprise. Ou si peu. Erreur grossière alors que leurs mains se touchent et se croisent, partant à découverte de leur corps impatients. Leur excitation mutuelle les fait râler et trembler, leurs bouches continuent de haleter l’une contre l’autre alors que les langues se nouent et se dénouent avec une fièvre croissante. Gabrielle est la première à glisser sa main entre les cuisses de son amante.
Florence les écarte, son extase monte alors que deux doigts la pénètrent facilement, glissant et s’enfonçant dans son vagin tandis que le pouce s’insinue dans sa vallée intime, glissant tout le long, accentuant son excitation avant de masser son clitoris qui devient dur comme un bouton de rose. C’en est trop. L’orgasme est si rapide et violent qu’elle crie de surprise et de bonheur. Elle se casse en deux, jouit aussitôt une deuxième fois avec une intensité plus forte que la première, tout simplement parce que Gabrielle a introduit en elle un troisième doigt qui a décuplé ses sensations. Eblouie, elle se laisse retomber sur le lit avec un soupir d’aise. Gabrielle la bascule sur elle, s’étend bras et jambes écartée avec une fébrilité impudique. Ses attentes sont légitimes. Elle a donné du plaisir. Maintenant elle veut en recevoir. Ses yeux fous, ses cheveux en bataille, son magnifique corps luisant de transpiration, tout indique une excitation incontrôlable qui quémande un apaisement urgent. Florence, tout en ayant envie de satisfaire ses désirs, hésite un instant. Jusque là, elle a transgressé les ordres mais pourrait éviter l’irréparable en arrêtant tout maintenant. Il n’est pas trop tard pour réparer ses erreurs. Son regard s’attarde sur le long corps élancé de Gabrielle, ses mouvements sinueux, la houle qui l’agite, son ventre qui monte et descend, sa main qui glisse entre les jambes, frôlant le sexe mouillé et ouvert. Non, ce serait inhumain de la laisser dans un tel état. Tant pis pour les ordres. Après tout, personne n’en saurait rien, la salle de contrôle et télésurveillance étant interdite puisque le patron était absent. C’est avec autant d’impatience qu’elle se penche donc vers son amie, s’agenouillant entre ses cuisses. Elle lui dévore les seins, des seins qu’elle pourrait lécher des heures tant ils sont beaux, gros et fermes. Elle ne s’en lasse pas, les picorant avidement, tandis que sa main droite glisse sur le ventre et s’insinue entre les cuisses. D’abord, elle pose sa main à plat sur le triangle secret, jouant avec les poils pubiens. Geignant de frustration, les bras posés sur son dos, Gabrielle est incapable de contenir les spasmes qui partent de son bas-ventre pour l’ébranler impitoyablement, au bord de l’orgasme mais ne pouvant se libérer car la caresse n’est pas assez précise.
En proie au délire, elle se frotte violemment contre les doigts sur lesquels elle a tant envie de se laisser fondre. Florence a pitié d’elle, et satisfait à sa demande. Ses doigts parcourent enfin la fente humide, brûlante comme de la braise, avant de se laisser aspirer par ses intimes moiteurs. Gabrielle pousse des petits cris extasiés, agitant convulsivement les reins et écartant davantage les cuisses avec une souplesse étonnante, pour mieux s’ouvrir au va-et-vient de la main active. Le ventre en feu, elle s’offre toute entière en se tordant comme une limace prise de folie, alors qu’elle sent un orgasme incroyable monter en elle, grossir et s’amplifier avec une densité extraordinaire. Elle se sent prête à être anéantie par une jouissance jamais atteinte lorsque des coups violents sont frappés à la porte.
- Florence, viens tout de suite ! ordonne une voix féminine.
Florence se fige. Gabrielle serre les cuisses sur sa main, la retenant et la suppliant de continuer.
- Je t’en prie, chérie, n’arrête pas…
Les coups sur la porte se font insistants. Derrière, la voix féminine claque sèchement
- Florence, je sais que tu es là… J’entre dans deux secondes.
A l’annonce de cette menace, les deux femmes se lèvent vivement. Complément dégrisées, elles se rhabillent avec hâte, Gabrielle enfilant vite son peignoir avant de décider, tout compte fait, de filer dans la salle de bain. Elle s’y réfugie en claquant la porte derrière elle. Brusquement, Florence se retrouve seule dans la chambre, à moitié vêtue, lorsque la porte d’entrée s’ouvre d’un coup, laissant surgir une petite blonde furieuse qui analyse la situation d’un seul coup d’œil.
- Je le savais… T’es une vraie petite garce en chaleur ! siffle t- elle.
Florence lui intime le silence en désignant la salle de bain de la tête. La petite blonde comprend et sort tout de suite, suivie de prés par Florence qui finit de se rajuster. La porte est à peine fermée qu’elle se fait sévèrement réprimander.
- Merde, Flo, tu connais les ordres pourtant ! Tu ne devais en aucun cas coucher avec elle… Juste l’allumer et la chauffer un maximum, c’est tout…
Florence a retrouvé sa dignité et, surtout, son aplomb. Elle sourit avec bravade.
- Pour la chauffer, crois-moi que j’ai obéi aux ordres. Elle est chaude-brûlante la bourgeoise, un rien et elle se liquéfie sur place.
- Comment ça ?
- Je l’ai laissée sur sa faim alors qu’elle était au bord de l’orgasme. Je ne pouvais pas mieux faire pour l’exciter un maximum.
- Ouais… Parce que je suis intervenue à temps, sinon vous alliez jusqu’au bout.
- T’inquiète, je gérais très bien la situation… Dis, tu ne diras rien au patron ?
Sur ce, elle colle la blonde contre le mur et l’enlace tendrement. Celle-ci veut protester mais Florence la fait taire d’un baiser fougueux. La blonde gémit et l’embrasse à son tour, incapable de résister aux tendres sollicitations de la langue qui la provoque délicieusement. Essoufflée, elle penche la tête en arrière et constate faiblement :
- Tu es un monstre… un monstre que j’adore.
- Dis, t’es pas jalouse au moins… C’était juste pour le boulot.
- Non, je ne suis pas jalouse. Et toi et moi on ne s’est rien promis.
Tu es libre de coucher avec qui tu veux, tu le sais très bien.
La gravité de son expression, ses yeux humides et voix tremblante démentent le contraire. Mais elle ne l’avouera jamais. Tomber amoureuse d’une femme comme Florence est un avenir qui sera toujours basé sur des trahisons et des mensonges. Douleurs, larmes et déchirements, voilà bien ce qu’elle tient à éviter pour tout l’or du monde. Florence vit dans un univers d’insouciance et de liberté, et elle avait été choisie pour toutes ces qualités. Comme elle d’ailleurs, mais elle avait toujours été un brin sentimentale, une faiblesse qu’elle ne pouvait pas se permettre ici, dans ce château, où il s’en passait de drôles de choses… Aussi, elle s’arme de détermination en se persuadant que leur relation est juste une histoire de cul. C’est tout. Décidée à ne plus se laisser manipuler, elle la repousse et s’éloigne d’un pas vif. Florence la talonne. Elle est enjouée et curieuse.
- Fanny, attends-moi. Dis, pourquoi il faut se contenter de jouer avec les nerfs de cette femme ?
Sans se retourner, descendant rapidement les larges escaliers qui mènent au salon, Fanny lui répond malgré tout.
- Parce que le patron veut qu’elle soit en condition de surexcitation totale lorsque les invitées vont arriver. Gabrielle est une redoutable croqueuse de femmes, et notre boulot consiste justement à ce qu’elle ne puisse rien se mettre sous la dent jusqu’ici…
- Mais pourquoi ?
- Il la réserve à Inès Genest.
Florence s’immobilise un instant, figée par la surprise. Elle court presque pour rattraper sa collègue.
- Inès, la romancière qui écrit des contes pour enfants.
Malgré elle, Fanny sourit.
- Non, elle écrit des bouquins à l’eau de rose pour les hétéros Ce qui revient un peu au même…
- Mais elle n’est pas lesbienne ?
- Exact, et c’est pour ça que les ordres sont d’allumer Gabrielle sans qu’elle puisse assouvir ses envies. Le patron veut qu’elle couche avec Inès, et qu’elle soit dans un tel état qu’elle ne lui demandera certainement pas son avis pour la jeter illico dans son lit. Si vraiment tu as laissé Gabrielle aussi affamée que ça, je pense que rien ne l’arrêtera, elle va la dévorer tout crû la romancière fleur bleue !…
Là, Florence confirme. Gabrielle est prête à tout pour apaiser ses appétits démesurés. Quelque part, elle envie la chance de cette femme écrivain. Comme elle aimerait être à sa place ! Qu’elle le veuille ou pas, Inès va affronter un déchaînement de perversité et de sensualité auxquels ses livres pour hétéros coincés sont, en effet, de vrais contes pour enfants.
CHAPITRE 1 :
Une jeune femme court à perdre haleine sur le sable fin d'une plage bordée de cocotiers. Elle se précipite à la rencontre d'un beau cavalier qui, empressé de la retrouver également, donne de furieux coups de talons sur les flancs d'un superbe étalon noir. A quelques pas de la femme, il stoppe l'élan fougueux de son cheval, met vivement pied à terre pour l'accueillir dans ses bras ouverts. Elle s'y jette éperdument avec un rire de bonheur. Le couple s'embrasse avec passion, tendrement enlacé, tournoyant au bord de l'eau. Ils sont seuls, isolés et les plus heureux du monde dans un décor paradisiaque qui renforce l'aspect romantique et onirique de cette scène. Une douce mélodie accompagne les étreintes du couple.
Le mot Fin apparaît brusquement sur l'écran de l'ordinateur.
C'est Inès qui vient de finir les dernières lignes de son nouveau roman à l'eau de rose. Le visage ruisselant de larmes, elle se mord les lèvres en levant les yeux au plafond, bouleversée par ce qu'elle vient de taper. Elle ne peut contenir d'autres sanglots alors qu'elle se relit. Elle clique sur enregistrer puis, à regret, éteint son ordinateur, quitte son bureau et se dirige vers sa bibliothèque où sont alignés tous les livres qu'elle a écrit, et qui ont fait sa gloire. Tout en s'essuyant les yeux du revers de la main, elle contemple rêveusement toutes ses œuvres, les effleure du bout des doigts avec une affection toute particulière. Elle se rend ensuite dans la cuisine, se sert un verre d'eau, puis passe par la baie vitrée pour se rendre dans son jardin.
Vue aérienne de sa maison, isolée dans une forêt de moyenne montagne. Elle habite dans un immense chalet. L'entrée est en vieille pierre, mais tout le reste de la façade est habillé de bardage et de bois, avec de grandes baies vitrées et un toit à double pente. Une originalité architecturale qui mélange l'esprit rustique savoyard et la modernité.
Inès passe sous une tonnelle pour gagner un splendide jardin parsemé de fleurs – un havre de paix, multicolore et parfumé, parfaitement entretenu. Elle inspecte sereinement son sanctuaire, avec ravissement. Le moment n'est pas à l'entretien, mais à de secrètes pensées qui lui font prolonger sa promenade solitaire en toute quiétude. Elle caresse ses roses avec délicatesse, renifle ses fleurs les plus odorantes avec un ineffable bonheur. Tout dans son comportement révèle une grande douceur, une sensibilité à fleur de peau, un caractère fragile et indépendant. Cet esprit romantique, cet attachement à une époque révolue et surannée, se confirmera dans tout ce qu'elle entreprendra par la suite. Sa tenue vestimentaire le prouve également, une longue robe toute simple en coton, imprimée de fleurs rouges et de motifs démodés. Mais même ainsi vêtue, Inès est divinement sexy, un délicieux bouquet de séduction et de volupté. C'est une femme terriblement attirante, auréolée d'une grâce juvénile et d'une innocence touchante, avec des formes harmonieuses et sensuelles. Comme son prénom l'indique, elle est d'origine espagnole. Sa chevelure est noire et épaisse, sa peau brune et luisante dans les éclats ardents du soleil, ses yeux immenses et sombres à s'y noyer, avec des cils épais. Son visage est celui d'une enfant presque, avec des traits fins et délicats, un nez étroit, des lèvres pleines et joliment ciselées en forme de cœur.
Ses pensées vagabondes sont interrompues par une sonnerie. Souple et légère, elle court ouvrir. Une femme bourgeoise et excentrique entre d'un pas décidé.
- Inès, quand vas-tu te décider à sortir de ce trou perdu ?
J'angoisse rien qu'à l'idée de tomber en panne en plein milieu de cette forêt sauvage. Il faut vraiment que je tienne à toi pour venir jusqu'ici.
- Bonjour, Julie.
- Oui, oui, bonjour. Excuse-moi, je suis encore sous le choc.
- Tu n'as rien à craindre, tu sais. Il n'y a pas de loups ici, ni aucune autres bêtes affamées... Juste quelques renards sans doute plus effrayés que toi.
- Des renards, quelle horreur ! Et s'ils avaient la rage ?
Inès éclate de rire. Les allures précieuses de son amie l'amuse. Exaspérée, celle-ci ne cesse de lui faire des reproches sur son entêtement à vouloir s'enterrer en pleine montagne.
- Ma chérie, tu as les moyens de vivre dans un somptueux appartement en plein cœur de Paris, alors fais-moi plaisir, fous le camp d'ici. A quoi sert tout cet argent que tu gagnes ? C'est à se le demander !
- Que veux-tu que je fasse à Paris ? Je déteste les mondanités, je laisse la gloire et les paillettes pour les gens en quête de célébrité facile, qui veulent se montrer et pavaner. Tu sais bien que tout ça me met mal à l'aise, et il n'y a qu'ici où je peux écrire. J'ai besoin de calme, de solitude, d'être proche de mes racines, la famille, les amis d'enfance, de rester en contact permanent avec mes origines. C'est la source même de l'inspiration, c'est la clé de mon succès. Enlève-moi ces plaisirs simples et je ne serai plus capable d'écrire une ligne. A moins que tu ne préfères que je devienne un écrivain raté ?
- Tu rigoles ou quoi ! Je suis ton amie, mais avant tout ta directrice d'édition. Plus tes romans ont du succès et plus je gagne de l'argent. Ils se vendent tous à des millions d'exemplaires, sauf le dernier qui n'a pas trop bien marché, mais cela arrive à tout le monde de traverser une mauvaise passe... Tu vas remonter la pente, j'ai confiance, surtout avec celui que tu écris en ce moment, il va casser la baraque, je compte bien te faire passer la barre des vingt millions avec celui-ci. Au fait, où en est-il ? Tu l'as bientôt fini j'espère ?
- Oui, je viens de le terminer à l'instant. Deux ou trois petites corrections et je te le remets aussitôt.
- Parfait. Oh ! Toi, tu as pleuré, tu as les yeux tout rouges ?
Inès esquisse un sourire contrit.
- C'est rien, ça va passer...
Devant le regard interrogateur et insistant de Julie, elle s'explique :
- Bon, j'avoue, c'est le dénouement de mon roman qui m'a un peu ému. Je suis une éternelle sentimentale, on ne se refait pas !
- Ma pauvre chérie, tu es née un siècle trop tard ! Toutes ces valeurs auxquelles tu crois éperdument n'existent plus, reviens un peu sur terre. Et, des fois, tu m'inquiètes vraiment à vivre de façon si intense tout ce que tu écris, tu t'enfermes dans un monde onirique, tu te fais du mal à vivre toutes ces histoires d'amour par procuration. Tu es jeune, belle, désirable, apprends à sortir et à goûter réellement aux plaisirs de la vie. Mais pour ça, avant tout, quitte ce bled paumé, ce ne sont pas les bouseux du coin qui vont faire battre ton petit cœur si romantique, aucun prince charmant ne viendra frapper à ta porte ! Tu risques d'attendre longtemps, tu vas finir vieille fille, crois-moi...
- Mieux vaut vivre seule que mal accompagnée. Ce n'est pas toi, après ton deuxième divorce, qui me dira le contraire ?
- Touchée, coulée !
Elles rient en même temps. Julie dissimule son agacement derrière une façade d'exubérance excessive. Inès est un cas unique que rien ni personne ne pourra changer. Auteur de roman à l'eau de rose, elle est depuis deux ans en panne d'inspiration, suite à un traumatisme provoqué par une agression. Depuis, elle s'est isolée dans un chalet de montagne, coupée du monde, indifférente aux injonctions de son banquier et de son éditrice qui s'impatientent. Rêveuse, effacée, elle prend rarement part à l'effervescence de son milieu, se contentant de sa solitude, se déconnectant de la réalité en voulant toujours croire au grand amour et au prince charmant, avec ce même romantisme que les héroïnes de ses romans.
Inès lui propose à boire, Julie accepte avec joie un Martini. En constatant que son amie ne l'accompagne pas, elle la taquine gentiment.
- Ma chérie, prends un verre d'alcool, ça te décoincera un peu. Tu ne te lâches donc jamais ?
- Je ne tiens pas l'alcool. Un jus d'oranges ira très bien.
Julie hausse les épaules avec résignation. Elles s'installent dans le salon, s'asseyant l'une en face de l'autre. Inès croise les jambes, et dans son mouvement la robe remonte bien au-dessus du genou, dévoilant de longues jambes racées, à la peau dorée. Julie en est toute chose, avec de soudaines bouffées de chaleur. Menant une vie de tous les excès, elle avait goûté à tous les plaisirs, se lassant assez vite des hommes pour s'intéresser plutôt aux femmes qui, elles, ne l'avaient jamais déçue. Un choix qui ne cessait de s'affirmer, et ce n'est certainement pas la présence troublante d'Inès qui allait la faire changer d'avis. Elle aurait donné une bonne partie de sa fortune pour avoir une aventure avec celle-ci, un fantasme secret qu'elle entretenait depuis pas mal de temps déjà. Et un fantasme qui le resterait sans doute jusqu'à la fin de sa vie... Découragée devant tant d'injustice, Julie abandonne ses manières démonstratives et exubérantes pour afficher un air un peu plus sérieux.
- Comme je te l'ai dit au téléphone, j'ai une affaire en or à te proposer. Un scoop sans précédent, qui pourrait avoir des retombées faramineuses. Je devais t'en parler de vive voix, c'est une occasion comme il ne s'en présente qu'une seule fois dans sa vie, et il faut la saisir sans la moindre hésitation, tu m'entends ? Je suis là pour te convaincre, tu ne peux pas imaginer ce que cela me coûte de quitter Paris et ses folies nocturnes. J'espère que tu apprécies à sa juste valeur l'ampleur de mon sacrifice, alors ne me déçois pas.
- Je suis flattée que tu m'accordes tant d'importance, lui répond Inès avec une pointe d'ironie.
- Bon, venons-en aux faits. Tu connais évidemment le producteur Jean Vernier ?
- Bien sûr, qui ne le connaît pas. Le richissime et mystérieux Jean Vernier a toujours fait couler beaucoup d'encre, il est autant adulé que contesté, et qu'il soit aimé ou détesté ne l'empêche pas d'être un mythe vivant du cinéma français, un personnage charismatique et fascinant. Producteur, distributeur, homme d'affaires redouté, il a bâti un véritable empire autour du cinéma populaire, on lui doit nos plus grands classiques et les plus grands succès commerciaux de ces vingt dernières années. Il n'y a pas un jour sans qu'on le voie dans des magazines ou à la télé, mais malgré cette notoriété, c'est un homme très énigmatique, il a toujours préservé jalousement sa vie privée, et toutes sortes de bruits courent sur lui. Certains disent que c'est l'être le plus cynique et le plus prétentieux qui existe, d'autres l'accusent d'être un véritable débauché, et certains restent persuadés qu'il est bel et bien cet assassin dont on l'accusa il y a quelques années. Il a été innocenté pour le meurtre de sa deuxième épouse, mais certains soupçons pèsent toujours sur lui, il est fort probable qu'il en fût l'investigateur. Mais je ne suis pas habilitée à porter le moindre jugement, je ne le connais pas suffisamment pour ça.
- Donne-moi quand même ton avis personnel. Que penses-tu de lui ?
- Il est certain que je n'appartiendrai jamais à son fan club. Je le trouve présomptueux et arrogant, et il cultive cette vanité avec un art inimitable. Mais je me trompe peut-être, les apparences peuvent être trompeuses, comme je te l'ai dit, je ne le connais pas personnellement.
- Et bien justement, voilà une lacune qui peut être réparée. Figure-toi qu'il est prêt à t'accorder l'exclusivité sur toute sa vie, de sa jeunesse tumultueuse à sa rencontre avec Catherine. Il veut surtout lever le voile sur cette sombre affaire, leur véritable histoire d'amour et les circonstances affreuses dans lesquelles elle a perdu la vie, et pourquoi on l'a soupçonné à tort. Il est prêt à se dévoiler, à se mette à nu, à te livrer ses failles et ses faiblesses les plus profondes pour te permettre d'écrire ce qui sera la biographie la plus passionnante de ce siècle. Tout, quoi ! N'est-ce pas formidable ?
Inès ne peut dissimuler son étonnement.
- Pourquoi moi ?
- Je ne sais pas, et je m'en fous littéralement. Il t'a choisie, c'est ça le plus important.
Devant l'air méfiant d'Inès, elle réfrène son exaspération et continue sur sa lancée.
- Il doit aimer ton style, ou il t'a aperçue lors d'une de tes rares interviews et tu lui as tapé dans l'œil. Je n'en sais rien... C'est son secrétaire particulier qui m'a téléphoné, crois-moi, j'en suis restée sur le cul lorsqu'il m'a demandé tes coordonnées. J'ai refusé, faisant valoir mon rôle de responsable et d'éditrice, et c'est alors qu'il m'a parlé de ce projet, avec une telle insistance que j'ai compris que c'était vraiment sérieux. Tu me connais, je suis dure en affaire, j'ai négocié comme il se devait, et le poisson est ferré. Toi et moi sommes invitées à une réception, dans cinq jours. Tu y rencontreras Monsieur Vernier en personne, et pour conclure cette association il semble tout disposé à t'ouvrir pendant plusieurs semaines les portes de son château cathare. Alors, qu'est-ce qu'on dit à son éditrice préférée ?
Inès ne paraît pas emballée. Inquiète, elle demande :
- Et cette réception, elle est où ?
Julie semble appréhender sa réaction en répondant faiblement :
- A Paris.
Et elle ajoute vivement :
- Mais je te promets de m'occuper de tout, de A à Z. Avion en première classe, chauffeur privé à ton entière disposition, pas une seule seconde tu seras toute seule et...
- C'est hors de question !
- Si tu veux, je viendrai moi-même t'accueillir à l'aéroport, je te dorloterai comme une princesse... Je t'en prie, ne me fais pas ça... C'est une question d'une nuit, le lendemain matin tu seras de retour chez toi à une telle vitesse que tu auras eu l'impression d'avoir rêvée tout ça.
- Non, non et non ! Ne me parle pas de rêve, c'est un véritable cauchemar que tu veux me faire subir ! Je déteste Paris, j'exècre Paris ! La capitale m'oppresse, m'étouffe, c'est une appréhension que j'ai depuis cette agression, tu en connais parfaitement les causes et tu ne peux pas m'obliger à affronter une telle épreuve... C'est au-dessus de mes forces, Paris me rappelle trop de mauvais souvenirs.
Elle est réellement paniquée, tétanisée par de terribles angoisses. Un traumatisme dont elle n'est pas prête de se libérer, mais Julie tente d'amoindrir la gravité de la situation.
- Chérie, débarrasse-toi du passé, tire un trait sur cet événement qui t'empêche d'aller de l'avant. Cela fait deux ans que ça s'est passé, tourne la page, et pour t'aider à oublier dis-toi que cela aurait pu être pire, tes agresseurs n'ont pas réussi à aller jusqu'au bout, tu as été sauvée in-extremis par la police qui, pour une fois, est intervenue à temps. Allez, je t'en prie, fais un effort...
- Julie, le sujet est clos. Rien ne me fera changer d'avis, dit Inès avec détermination.
On la retrouve vêtue d'une longue robe du soir, splendide en noire, avec fantaisies de dentelles et volants qui donnent à sa tenue des airs romantiques. Elle est perdue et désorientée dans un immense salon de luxe où se bousculent et s'interpellent de nombreux invités distingués, tous très à l'aise dans ce genre de festivités mondaines. Elle est sauvée de l'ennui par Julie qui, de loin, lui fait signe de venir la rejoindre. Elle lui présente le producteur Vernier. C'est un bel homme, grand et élancé, avec de la prestance. La mine hautaine et fière, il accapare plusieurs femmes de ses paroles pompeuses et de grands gestes théâtrales. Il s'interrompt malgré tout lorsque Julie s'avance en tenant fermement Inès par le bras. Cette dernière donne l'impression de vouloir prendre les jambes à son cou et de s'enfuir le plus loin possible d'ici.
- Enfin, la grande et secrète Inès ! J'ai le grand privilège de vous approcher de près, on vous dit si sauvage et si inaccessible ! J'espère que cette réputation est erronée ?
- Non, elle est authentique. Je ne m'apprivoise qu'avec les personnes qui en vaillent vraiment la peine, et Dieu sait qu'ils sont rares.
- Diable, voilà pourquoi vous vivez recluse au fin fond de votre forêt, un éphémère refuge pour une indomptable biche effarouchée. Quel gâchis, une si jolie femme, si intelligente et pleine de talent. En tout cas, vos romans sont à l'image même de votre personnalité, si naïfs, si purs, pleins de bonnes intentions qui vous vont à ravir.
- lls restent purs et intacts parce ce que, comme moi, ils savent se tenir à l'écart de la déchéance humaine et de toute cette hypocrisie qui corrompt notre société. Une société qui a perdu toutes ses valeurs, ce que je déplore. C'est cette authenticité et cette quête d'absolu qui font la force de mes romans, et je suis fière de garder espoir sur le destin des hommes et des femmes, même les plus vils.
Décidément, le courant ne passe pas. Inès semble agacée par l'assurance condescendante et moqueuse de son hôte. Celui-ci s'amuse à la piquer, ravi d'avoir en face de lui une femme qui ne se laisse pas impressionner et lui damne sérieusement le pion. Charmé, il s'exclame :
- Mais j'adore, tout au contraire ! De l'épopée romantique, du souffle épique, voilà ce qu'il me faut, il n'y en aura jamais assez pour raconter toute mon histoire, la vraie, la seule, l'unique... De l'émotion et du romanesque ne pourront qu'atténuer certains côtés sombres de ce passé que j'aimerais tant exorciser en racontant haut et fort la vérité, une vérité que votre plume et votre talent sauront si bien sublimer et transcender. Si vous acceptez mon offre, bien entendu...
Julie, qui était alors crispée en assistant avec impuissance à des joutes verbales qui n'envisageaient rien de bon, semble se détendre peu à peu. La conversation prend une tournure plus amicale. Souriante, elle s'empresse d'intervenir :
- Bien sûr qu'elle accepte, tous les détails sont réglés. N'est-ce pas, ma chérie ?
- Faut voir... L'invitation est pour quand ?
- Ce week-end, pour une semaine. Je vous en prie, acceptez et vous ne le regretterez pas.
Un sourire énigmatique étire les lèvres d'Inès.
- Julie a les coordonnées de votre secrétaire, je ne tarderai donc pas à vous transmettre ma réponse. Merci de m'avoir accordé un peu de votre temps précieux.
Espiègle, elle lui tourne le dos et se dirige vers le bar. Vernier la suit des yeux avec le regard du prédateur sûr de sa victoire, mais une expression à la fois admirative et intriguée illumine son visage d'un sentiment nouveau. Inès disparaît dans la foule, suivie de près par Julie qui tourne autour d'elle en caquetant comme une hystérique :
- Tu es folle ou quoi, qu'est-ce qui t'a pris ?
- Ne t'inquiète pas, ma réponse est oui. Mais laissons ce prétentieux dans l'incertitude, il a tellement l'habitude de tout obtenir que cela ne lui fera pas de mal de mijoter un peu dans son jus.
Rassurée, Julie saisit une coupe de champagne qu'elle boit d'un trait. Inès s'informe auprès d'un serveur s'il y a des boissons non alcoolisées, et selon les conseils de ce dernier trempe les lèvres dans un cocktail à base de jus de fruits.
- Hmm, excellent.
Julie hoche la tête avec désapprobation.
- Inès, tu pourrais faire un effort pour une fois. Bouleverse tes habitudes et fêtons l'événement comme il se doit, en
nous saoulant et en nous amusant comme des folles !
Devant l'air grave de son amie, elle se désespère.
- Inès, tu es triste à mourir ! Comment peut-on être si sérieuse et si conventionnelle ?
- Désolée, mais même si j'en ai envie je ne peux transgresser cette règle d'or : ne jamais boire d'alcool. Si je le fais, je deviens une véritable catastrophe ambulante, je perds le contrôle et je commets les actes les plus délirants qui existent, sans m'en rendre compte. Le pire, c'est qu'après je ne me souviens plus de rien, ce qui vaut sans doute mieux quand j'ai ensuite connaissance des dégâts que j'ai occasionnés. Crois-moi, pas une goutte d'alcool et tout le monde s'en portera mieux !
- A ce point ?
- Oh, que oui ! A seize ans, pour ma première cuite à la sangria, je me suis retrouvée nue comme Eve à sauter comme un cabri dans toute la maison de mon petit ami. Lui était aux anges, mais ses parents beaucoup moins... Scandale et rupture à la première heure du matin. Et pour fêter mon permis, j'ai échappé de justesse à un viol collectif tellement je me suis montrée aguicheuse et impudique, provoquant tous les mâles du bar après avoir ingurgité imprudemment quelques bières. Et de tout cela, je n'ai aucun souvenir, mais les amis qui m'accompagnaient s'en souviennent encore, surtout ceux qui se sont interposés et pris des coups pour calmer les esprits échauffés. Je n'ai aucune envie de remettre ça.
- Dommage, j'aimerai bien voir la trop sage Inès se lâcher complètement, je donnerai cher pour assister à un tel spectacle.
- Dans une autre vie, certainement...
- Dommage... Il y a en toi un feu secret qui brûle, mais tu refuses de te laisser enflammer.
- Oh, non, pitié, ne recommence pas avec ta psychologie à trois sous : « Lâche du lest, profite de la vie, laisse-toi aller... ». Tu radotes ma pauvre Julie, le disque est rayé !
- Si seulement tu suivais mes conseils, je pourrai enfin assister à ta métamorphose, à une renaissance, pour ton plus grand bonheur...
Et, cette métamorphose, elle aimerait bien que cela se passe avec elle. Dans son lit. Une nuit, juste une nuit... Julie n'était plus très jeune et très belle, mais son expérience est sans limite. Elle lui ferait des choses qui la rendrait folle, la ferait délirer, hurler et supplier...
Inès ne l'écoute plus, intriguée par une petite femme dynamique aux prises avec deux hommes qui vocifèrent bruyamment. Sans se démonter, elle leur tient tête. Calme, posée, elle les interrompt pour affirmer fermement.
- Faux, et archi faux ! Vous dites n'importe quoi, messieurs !
Le bruit ambiant l'empêche de suivre la conversation, mais peu importe. D'emblée, ce qu'elle apprécie chez cette femme, c'est sa façon de les affronter, seule contre tous, sans vulgarité ou exubérance, mais avec une fermeté et une assurance qui semblent les déstabiliser. Julie suit son regard avant de s'enquérir :
- Tu la reconnais ?
- Bien sûr. C'est l'actrice Claire Broustal. J'aime beaucoup ce qu'elle fait.
- Cela ne m'étonne pas, vous vous ressemblez un peu toutes les deux. Radicale, atypique, discrète, elle refuse de se laisser broyer par le système cinématographique et mène sa barque indépendamment, en toute liberté. Pourtant, elle aurait pu prendre la grosse tête après le succès phénoménal de son film « Juillet Assassin », mais elle a choisi son camp en tournant plutôt dans des petits films intimistes qui ont eu de bonnes critiques. Malheureusement, le septième art l'a un peu boudée ces derniers temps, et son rôle dans la prochaine production de Jean Vernier lui permettra sans doute de renouer avec le succès.
- J'ignorais tout cela, mais elle n'en est que plus sympathique.
Elle vient de se marier, non ?
Julie répond sur un ton maussade.
- Oui, avec un photographe tristement inconnu. Ils ont eu une fille je crois... Bref, voilà une femme bien dans sa tête et bien dans ses baskets. Maman comblée, amoureuse sereine, une vie saine et tranquille, que demander de plus ?
- Je sens une pointe de dédain dans ta voix.
- Evidemment, elle aurait pu tout avoir ! Villa de rêve, gloire et fortune, tourner avec les plus grands et se marier avec un milliardaire, mais elle a tourné le dos à tout ça pour choisir une vie simple et banale, pour ne pas dire médiocre... Ce genre de comportement stupide me dépassera toujours !
- Julie, le bonheur ne se limite pas à toutes ces considérations superficielles, mais te faire comprendre cette dure réalité est un combat perdu d'avance, alors autant en rester là...
Julie la regarde sans comprendre. Elle hausse les épaules, puis s'agite sur place en jetant des regards fébriles tout autour d'elle, adressant sourires et grands gestes amicaux à de nombreuses personnes. Inès sourit avec sollicitude.
- Julie, va retrouver tes amis, tu en meurs d'envie. Je saurai me débrouiller très bien toute seule.
- Vraiment ?
- Si je te le dis.
Julie ne se fait pas prier, se précipitant sur un couple aristocrate qui l'accueille avec une effusion exagérée. Amusée, elle les observe un instant puis reporte son attention sur Claire. Celle-ci sent son regard, tourne la tête et lui adresse un sourire chaleureux. Cela encourage Inès à venir à sa rencontre.
- Vous avez enfin réussi à vous débarrasser de vos prétendants ?
- Quelle bande de petits cons prétentieux ! Ils sont beaux, jeunes, riches, et du coup se croient irrésistibles. Ils ne peuvent pas s'empêcher de vous impressionner en étalant leur fortune, la marque de leur voiture, la superficie habitable de leur maison, tous les voyages qu'ils effectuent, tout ça en étant persuadés que les femmes vont leur tomber pâmées et ébahies dans les bras. Avec moi, c'est tout le contraire. Plus ils se vantent et plus ils perdent tout espoir de m'intéresser.
- Alors là, je vous donne raison à cent pour cent. C'est le genre de soirées que je déteste, une triste caricature du pouvoir et de l'argent qui en devient franchement pitoyable.
- Au moins, cela a le mérite de nous faire rire et de ne surtout pas vouloir leur ressembler. Quelque part, c'est rassurant.
Elles éclatent de rire en même temps. Inès est conquise, excitée comme une enfant qui vient de se faire une nouvelle amie et à qui cela n'arrive pas souvent. D'emblée, Claire inspire confiance par sa franchise et sa joie de vivre. Jolie, pas très grande mais délicieusement proportionnée, elle pétille de malice et de fantaisie. Blonde, les cheveux en pétard, yeux noisette et fossettes espiègles autour d'une bouche enfantine, elle est nature et spontanée. Elle se présente ensuite.
- Claire Broustal.
- Je sais. Inès Genest.
- L'écrivain ? Alors là, bravo, vos romans sont un vrai bain de jouvence, de la douceur dans un monde de brutes.
- Merci, ça fait plaisir à entendre.
- Je suis sincère. Faire votre connaissance restera le seul bon souvenir que je garderai de cette soirée. C'est mon agent qui m'a traîné ici, et ce n'est pas tout car je suis maintenant obligée d'accepter une invitation de sa seigneurie Vernier dans son château, rien que ça... Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour sa carrière !
- Mais c'est génial, moi aussi je dois m'y rendre, la semaine prochaine.
- Comme moi ! Voilà qui me rend cette corvée beaucoup moins pénible. Et je n'exagère pas en parlant de corvée, c'est pour moi une épreuve terrible et inimaginable de me séparer de mon mari et de ma fille, personne ne peut imaginer ce que cela me coûte.
- Pourquoi alors avoir accepté ?
- Je n'ai pas eu trop le choix, on a fait pression sur mon agent, sur moi ensuite, en me faisant comprendre que refuser était mettre un terme définitif à ma carrière, que toutes les portes se fermeraient de façon irrémédiable. Et puis, après réflexion, je me suis dit qu'une semaine retranchée dans un somptueux château n'était pas la mer à boire, il y a bien pire... Enfin, c'est ce que je m'efforce de croire pour me donner du courage. Votre présence là-bas change bien des choses, un visage ami sera le bienvenu, peut-être après tout ne vais-je pas m'ennuyer comme je le craignais.
- Je veux, oui ! Vous allez voir, à nous deux nous allons bousculer les manières précieuses de ce joli petit monde, et nous amuser comme des folles à leurs dépens !
Elles trinquent en échangeant un regard complice.
Inès se retrouve dans une somptueuse limousine conduite par un chauffeur en tenue impeccable. La voiture traverse un large chemin de terre qui surplombe un immense vignoble, longeant un muret et des canaux de pierre sèche. Le sentier s'éloigne des vignes pour serpenter au milieu des chênes, des genêts, et de garrigues brûlées par le soleil. A l'intérieur de la voiture, Inès est un peu secouée. Avec elle, à l'arrière, se trouve une élégante femme d'une trentaine d'années, belle et princière, très sophistiquée. Brune aux cheveux longs, le teint mat, elle dégage une volupté électrique et un raffinement incomparable. La conversation qui s'ensuit fait comprendre qu'elles ont déjà fait connaissance et sympathisé.
- Inès, permets-moi juste une petite critique au sujet de tes livres. Ce que tu écris, c'est beau, c'est émouvant, mais pas très proche de la réalité. De nos jours, pour être plus moderne et plus dans le vent, il faut moins de sentiments et plus de sexe. Voilà, c'est ce qui manque dans tes livres, du sexe ! Mets-y de l'érotisme et les ventes vont tripler !
Inès accueille le conseil avec amusement. Son interlocutrice, malgré sa classe, a un franc parler et une spontanéité qui l'enchante. Le petit accent chantant espagnol ajoute du charme exotique à cette femme qui n'a rien d'ordinaire. Avec fougue, celle-ci argumente :
- Rien ne vaut un peu de cul, c'est excitant, c'est de l'énergie pure qui consume les corps et échauffe les esprits ! Romantisme et sexe peuvent faire bon ménage, bien qu'il y a longtemps que je ne croie plus à toutes ces balivernes. Moi, le sexe, je le pratique sans sentiments, et heureusement car je serai encore vierge si je devais attendre l'amour pour coucher. Même si tu as raison de vendre de l'espoir et du rêve, car il en faut de nos jours, un peu plus de sexe aurait encore plus d'impact, crois-moi... C'est une femme d'expérience qui te parle, j'en connais un bout sur ce sujet.
Inès rit de bon cœur.
- Merci pour ces infos qui ne manquent pas d'intérêt. Maria, je te promets d'y réfléchir...
- J'y compte bien... Si les ventes explosent, pense à Maria, ta nouvelle conseillère sexuelle !
- D'accord !
Jetant un coup d'œil par la vitre ouverte, Inès aperçoit les ruines d'une église, dont le clocher émerge d'un îlot de chênes. Derrière, sur une butte, se dresse un magnifique château, avec tours de guet. Un bel édifice médiéval superbement restauré qui arrache à Inès une exclamation émerveillée.
- Mon Dieu, comme c'est beau !
Maria, qui s'est penchée à son tour, ébauche juste un léger sourire amusé.
- De la part de Jean, plus rien ne peut me surprendre. Il fait toujours tout en grand, c'est tout lui ça !
Elles arrivent enfin à destination. Jean Vernier les accueille avec chaleur, plus familièrement avec Maria qui est une amie de longue date. Une jolie servante s'occupe d'Inès, sortant sa valise du coffre. Inès veut la porter.
- Laissez, c'est mon travail lui dit la servante doucement.
C'est Florence. Il y a presque de la prière dans sa voix, aussi Inès n'insiste pas. Elle se fait guider jusqu'à sa chambre. Durant tout le trajet, elle reste sans voix, abasourdie et impressionnée par l'intérieur luxueux et gothique. Perdue dans sa contemplation, elle en bouscule presque une jeune femme qui se promène d'un air hagard.
- Pardon, excusez-moi...
- Je... c'est moi, pardon... en bafouille l'autre en rougissant.
C'est une personne réservée et timide, blonde au sourire crispé, qui dissimule mal sous une maladresse juvénile et nerveuse une séduction touchante. Un visage poupin, des yeux candides, une silhouette gracile, tout lui donne un air fragile, avec un physique de lolita délicieuse qu'elle ne sait pas mettre en avant. Inès est attendrie. Elle lui fait penser à un jeune chiot perdu et fébrile qui ne demande qu'à être apprivoisé. Elle veut lui parler mais, déjà, elle s'enfuit promptement. Elle en oublie vite l'incident, retrouvant un regard émerveillé en découvrant sa chambre, et écoutant à peine ce que lui dit la servante :
- Monsieur Vernier vous attend dans le salon pour 19 heures.
Le bruit de la porte qui se ferme arrache Inès de sa contemplation.
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